L’esprit tzigane chez Liszt et Cziffra
Schola Cantorum le 16 novembre 2024
György Cziffra, au soir de son premier concert parisien, le 2 décembre 1956 a triomphé avec le Concerto en mi bémol de Liszt. Des critiques dithyrambiques l’ont propulsé au sommet des meilleurs interprètes de ce compositeur. Quelques temps avant, des techniciens de chez Pathé Marconi avaient écouté à Budapest un enregistrement des Rhapsodies 2,6,12 et 15 par un pianiste inconnu qui les a stupéfiés…
Lorsque l’on écoute Liszt par Cziffra, ce n’est pas tant sa prodigieuse virtuosité qui nous foudroie, mais bien plutôt son style, libre, passionné, emporté par le vertige de la vitesse ou la profondeur nostalgique des chants.
Cette conférence s’attachera à montrer que les origines tziganes de Cziffra font de lui l’interprète unique et authentique des Rhapsodies, de la Fantaisie hongroise et de tout ce que la musique de Liszt peut comporter de spectaculaire et de dramatique. On y définira le style tzigane par des œuvres interprétées en direct, notamment au cymbalum, ainsi que l’influence qu’il peut avoir sur d’autres compositeurs comme Brahms ou Ravel.
Christian Lorandin
Autres informations sur Cziffra et la virtuosité lisztienne
SPL en collaboration avec l’Association des Amis de l’Institut Hongrois (AAIH) ont organisé le jeudi 4 novembre 2021 une table ronde-débat sur le thème suivant :
« György Cziffra, une virtuosité lisztienne ? »
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Le 4 novembre, au centre culturel de la rue Bonaparte, désormais baptisé « Institut Liszt », Lisztomanias international et l’Association des amis de l’Institut Hongrois proposaient une rencontre thématique en l’honneur du grand virtuose, natif de Budapest (5 . 11 . 1921 - 15 . 1 . 1994), exilé en 1956, auquel le Quai d’Orsay accorda la nationalité française en septembre 1968, via l’Office de protection des réfugiés et apatrides. Introduit par Zita Bodnár et Alain Rechner, ponctué de musique, d’impressions personnelles, d’archives sonores ou filmées, l’hommage fut émouvant et splendide : c’est avec plaisir que nous rendons compte de la table ronde que Christian Lorandin, pianiste et critique, membre de la Société internationale des amis de Cziffra, anima brillamment aux côtés d’une pléiade de témoins, d’universitaires et d’artistes, une semaine à peine après l’inauguration, au Müpa Művészetek Palotája, d’une exposition organisée par le Gouvernement hongrois dans le cadre de « l’année Cziffra » que soutiennent le fonds Gábor Bethlen et les Nations unies. En ce qu’elle souligna le génie, le charisme, l’humilité foncière de cette âme d’exception, la soirée, sans l’avoir cherché, répara d’abord une forme d’injustice. Longtemps marginalisé dans le pays même où il avait trouvé refuge (lorsqu’il n’y fut pas tristement méprisé par sa caste jalouse), Cziffra souffrit, comme on le sait, d’un effroyable « malentendu » qui, toujours, le contraignit à se défendre sur un terrain où personne n’aurait dû pourtant se risquer à le provoquer. Dès 1959, à New York, il se désolait au micro d’un compatriote « que la virtuosité [fût alors] perçue chez l’interprète [en l’occurrence : chez lui] comme une tare, comme une disposition étrange, tout juste bonne à inspirer la suspicion de la facilité, de l’insignifiance et de la superficialité ». « Mais pourquoi devrait-il en être ainsi ? », s’insurgeait-il. « La virtuosité ne peut-elle aller de pair avec une musicalité sincère ? Pour être franc […], je me considère avant tout comme un musicien : la virtuosité n’est qu’un moyen de parvenir à des fins musicales. Quel mal y a-t-il à jouer Liszt, de toute façon ? Les jugements condescendants qui lui sont adressés dans les cercles professionnels américains m’ont étonné, et même choqué. Nous, les Hongrois, avons peut-être tendance à vénérer ce grand prêtre du romantisme au-delà de sa juste valeur, mais […] ». Et tout restait en suspens sur ce « mais »… Une décennie plus tard, à Paris, Le Monde gitan (1er janvier 1969) semblait bien seul à tirer fierté du jeu éblouissant de celui qui ne s’appelait plus légalement « György », mais « Georges », quand ce n’était pas « Serge » ou un prénom plus fantaisiste, comme le prouvent les colonnes moins confidentielles, cependant si lestes et peu scrupuleuses de la presse d’alors. En 2004, dix ans après sa disparition, un musicographe bien informé n’écrivait-il pas, pour un éditeur célèbre, que Cziffra, « l’un des spécialistes de Liszt » (« le public délire en l’écoutant »), « affectionnait les petites pièces virtuoses » et possédait « une technique transcendante qu’il [n’avait placée qu’] au service d’un répertoire relativement restreint (sic) » ? La réédition toute récente de la totalité des enregistrements de studio du pianiste (1956-1986) balaie heureusement cette stupidité : son maître d’œuvre Rémi Jacobs, ancien directeur de collection chez EMI, diplômé du Conservatoire de Paris et biographe d’Alfred Cortot, vint d’ailleurs lui-même présenter ce coffret de 41 disques (Erato, octobre 2021), enrichi d’une prise live du 1 er Concerto de Tchaïkovski avec Carlo-Maria Giulini, puis livrer ses propres souvenirs de Senlis avec pudeur et sensibilité. Au reste, ce sont bien les racines, les caractéristiques, la vérité de la « virtuosité lisztienne » du Cziffra étudiant, improvisateur, transcripteur, orchestrateur, chanteur, coloriste et concertiste qu’interrogea d’emblée Bruno Moysan, membre de la Liszt Society de Londres et de l’Institut Chopin de Varsovie, en croisant les notes de Madame Boissier, la correspondance de Liszt, ses volumes de Technische Studien, l’héritage pédagogique que transmirent István Thomán, ses disciples Imre Keéri-Szántó et Ernő Dohnányi. Aux octaves alternées, aux sauts latéraux, aux traits-fusées entrevus là de la Rhapsodie espagnole, Stany Kol (UNESCO) opposa ensuite le métier non moins sûr ni moins impressionnant du Cziffra claveciniste, d’une délicatesse exquise. En somme, observe Christian Lorandin, « la virtuosité lisztienne, souveraine, imprévisible et sans artifices de Cziffra, loin d’être un vain déballage de vitesse ou de mécanisme, était tissée d’ivresse, de vertige et de nostalgie. Dictée par le style et le texte, profondément humaine, vivante, sensée, authentique, exclusivement asservie aux exigences des maîtres, à un idéal de beauté, elle ne fut jamais machinale ni désincarnée ». Sur l’écran, appuyant ces démonstrations, défilent le Capriccio en fa mineur de Dohnányi (1976), une séance de travail saisie dans l’hôtel de la Fondation Polignac (1969), une répétition de la 2 e Rhapsodie hongroise à Zürich (1978), l’Etude transcendante en fa mineur, Le Tic-toc-choc ou les Maillotins de Couperin et un Exercice de Scarlatti, quand Eric Astoul, Romain Hervé, Pascal Amoyel et Cyprien Katsaris, entre deux commentaires captivants, interprètent ou revisitent eux-mêmes, sur le Steinway de l’Institut, la Valse triste de Vecsey, la 5 e Danse hongroise de Brahms et la Czardas obstinée de Liszt, voire improvisent en citant Johann Strauss, Chopin, Ravel, Chostakovitch, des thèmes de Faust et de Méphisto. Isabelle Œhmichen éclaira un aspect particulier des aigus cristallins de Cziffra. Philippe Dufour et Michel Sogny prirent aussi la parole. Nous regrettons de ne pas avoir entendu Herbert du Plessis, dont la maîtrise expressive du clavier, réellement stupéfiante, aurait ajouté à la joie d’une salle comble. « Sans doute, la perfection absolue n’existe pas », confiait Georges Cziffra à Mutz Böhm, qui le relate dans son Journal d’une amitié. « C’est seulement lorsque nous sommes arrivés à un certain niveau que nous réalisons à quel point nous sommes petits. Mais il y a tout de même une recherche artistique dans le don de soi-même. Ma mission est de dispenser de la joie. Je trouve détestable le mot de technique. Qu’est-ce que la technique ? Une automobile sur quatre roues ! Mon courage, ce n’est pas ma technique, mais l’élan qui vient de mon cœur. Ne regardez pas l’artiste au travail : écoutez-le seulement… ».
Frédéric Gaussin
Pianiste et critique musical jejouedupiano.com
Pascal Amoyel, et Christian Lorandin
Bruno Moysan,
Cyprien Katsaris, Michel Sogny
Isabelle Oehmichen
Stany Kol,
surlespasdeliszt.com
Site d'information de l'association "Sur les pas de Liszt"
Lettre d'information de novembre 2024
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