Rencontres internationales Franz Liszt

Lisztomanias 2024, ou la virtuosité transcendée

Le "billet" de Marie Hutin

 

  "Le thème présenté cette année , « Liszt l'athlète », expose au premier abord la

question de la « performance » . Comme nous l'a si bien expliqué Nicolas Dufetel * lors de sa conférence annuelle des Lisztomanias, le vocabulaire athlétique s'invite sous de nombreux termes dans la sémantique de la composition et de l'interprétation pianistique au travers des titres des œuvres ou des indications sur les partitions. Tout en en prenant conscience, interpellés que nous sommes ou même bousculés par les démonstrations de virtuosité que nous ont offert de merveilleux pianistes, choisis par Jean-Yves Clément, nous pouvons dire que la virtuosité porte l'élan rythmique vers des développements paroxystiques. Si cette habileté technique constitue pour l'époque romantique un fait marquant de la création musicale, suscitée entre autres par l'évolution de la facture instrumentale, elle devient chez Franz Liszt un vecteur de transcendance, nourri par l'impulsion créatrice et l'élan musical toujours renouvelé.

Le rythme, bien entendu fait référence au corps et amène le sujet du rapport de la personne dans sa corporéité avec le piano. La posture du pianiste, sa respiration et son propre souffle s'immergent dans le jeu, afin que la musique « parle », nous parle et que nous puissions la ressentir.

 

Le thème de l'agilité pianistique et de la virtuosité, nous amène naturellement

à celui de la performance créatrice . L'origine de la virtuosité relève d'une pensée elle-même virtuose. Et puisque cette semaine, à Châteauroux, nous évoluons dans la connaissance de Franz Liszt, nous sommes au bon endroit car l'agilité créatrice et la virtuosité d'esprit forment presque un pléonasme avec le nom même de ce compositeur.

 

Il est donc question du lien et de la relation de pensée entre le pianiste et l'œuvre, et de son lien charnel avec le piano. C'est exactement ce que Bruno Rigutto* essaie de nous dire au travers de son enseignement à quatre jeunes pianistes du CNSM, invités à participer à l' Académie d'Interprétation. « L'œuvre, nous dit-il, prend corps sous les doigts du pianiste ». Pour nous inviter à concevoir et éprouver le lien profond entre l'œuvre et la « vibration intérieure », il suggère , et fait appel à notre imaginaire pour tisser ce lien nécessaire à l'interprétation personnelle.

Des noms à retenir : Deux élèves de Denis Pascal dont nous avons eu le plaisir d'apprécier le jeu: William Winterstin pour « Bénédiction de Dieu dans la solitude » de Liszt, Rudy Gatti, pour les Klavierstücke op. 12 de Schumann et l'adagio du Concerto en Sol de Ravel, et dont nous avons pu écouter presque par inadvertance une voix merveilleusement fusionnelle avec le piano, moment éphémère, inoubliable et envoûtant... ; Mila Gostijanovic, invitée des plus grands festivals, dont l'élan musical remarquable avec la troisième suite anglaise de Bach nous capte; enfin Sophie Boucheau dont le sourire et la maîtrise donnent à l'œuvre de Debussy la sensualité des couleurs chaudes ou irisées, mouvantes et impressionnistes.

Sur les pianos préparés par Vincent Bergerault, maître des horloges incontournable pour recevoir le jeu cristallin ou profond des artistes, le jeu paisible ou tourmenté, chantant, aussi subtilement dans les graves que dans le aigus... :

Gaspard Dehaene nous a offert un concert remarquable avec les Douze Études d'exécution transcendante. Nous avons pu percevoir comme un lien entre le concert d'Anne Queffélec l'an dernier, d'où émanaient beaucoup d'humanité et d'aspiration spirituelle, et celui de Gaspard Dehaene qui, à travers ces douze tableaux a su nous emmener, d'une tout autre façon, vers cette transcendance.

Joseph Moog, avec une maîtrise parfaite de l'instrument, nous a offert une prolongation toute lisztienne, incluant des œuvres parfois peu connues avec une générosité inédite.

Vadym Kholodenko nous a fait toucher une forme d'absolu, une expression du sublime. Du piano, transcendé par un jeu d'une présence tout à fait nouvelle et personnelle, s'exhalait un chatoiement de sonorités, de nuances et de contrastes. Grâce à une performance technique cachée sous une simplicité de gestes, une danse voluptueuse naissait de ses doigts sur le clavier, sans dureté, mais avec profondeur, puissance et délicatesse. Le poète a parlé.

Aline Piboule a mis en perspective Franz Liszt et Gabriel Fauré dans un choix d'œuvres nous apparaissant comme « en miroir ».

Mais comme si cela ne suffisait pas, Jean-Paul Gasparian dans ses Paraphrases de Liszt, a su tenir nos sens en éveil, tant il fût par son charisme un passeur éclairé, dense et brillant de la virtuosité créatrice du compositeur... invitation au voyage de Verdi à Liszt puis de Wagner à Liszt dans ce piano orchestral.

Et comme pour clore le cycle des concerts sur le thème de la prodigieuse virtuosité... Comme un clin d'oeil à nos sens désormais modelés et réceptifs aux grands « galops » déclinés tout au long de ces Lisztomanias 2024... Tout à coup....telle une lueur tout autre....dépouillée....intérieure...sublime... nous fût offert le Via Crucis* pour chœur, soliste et orgue de Franz Liszt par le Chœur Aedes. Comme si, des profondeurs de son être, il nous livrait, dans les dernières années de sa vie, une chose qui depuis son enfance ne l'avait jamais quitté, ... tantôt enfouie, tantôt créée grâce à des rencontres d'âmes, de poésie, de littérature, mais aussi grâce aux épreuves de la vie,...l'ultime expression de son édifice spirituel".

Marie Hutin, membre de SPL, professeur de piano à Rennes​​​